Nicolas de Crécy est l’un des auteurs les plus intéressants et créatifs de ces dix dernières années. L’affaire est entendue. La collection « Expresso » de Dupuis, dans laquelle le créateur de Léon la came publie son dernier album, est en passe de devenir le « lieu-dit » le plus en vue de la bande dessinée avec les arrivées prochaines de Dupuy & Berberian, Prado et Cabanes, entre autres. La conjonction de ces deux évidences fait-elle cependant de Transports amoureux, premier volume des aventures du chien Salvatore, une improbable oasis dans ce tragique et morne désert qu’est la bande dessinée française depuis de nombreux mois ? Pas sûr… Mais pas impossible non plus.

Salavatore est donc un chien. Un chien garagiste, plus exactement, qui ne travaille « qu’à la tête du client ». Amateur de fondue savoyarde, il vit au sommet d’une montagne et oeuvre, entre deux réparations, à un projet des plus mystérieux. La monotone vie de reclus de notre ami canin est cependant sur le point d’être bouleversée par l’arrivée d’Amandine. Myope et veuve, cette charmante truie est également enceinte de douze gorets que l’on retrouvera par la suite dispersés dans des rues parisiennes envahies par des bovins arborant de douteux T-Shirt « Remember ACDC ».

Admirablement secondé par la mise en couleurs tout en subtilité de Ruby, le talent graphique de de Crécy séduit toujours autant par son ambitieuse simplicité. S’inscrivant en cela dans la droite ligne du récent Présopopus ou des grandioses Bibendum céleste et Léon la came, Salvatore permet à son auteur de déployer son habileté à manier l’absurde, évitant ainsi à ses personnages de sombrer dans le pathétique auquel ils semblent toujours promis. Nicolas de Crécy confirme également sa maîtrise du découpage et de la narration. Reste pourtant, au final, le léger soupçon de l’anecdotique, de faux airs d’Amélie Poulain dessinée (l’éloge des petits plaisirs, l’importance des événements insignifiants, etc.). Et, surtout, le sentiment que tout est un peu trop stable dans cet album qui doit cependant assumer le statut ingrat de premier tome. L’aspect légèrement grandiloquent et branlant dont était jusqu’à présent empreint le travail de Nicolas de Crécy, ainsi que le dérangeant malaise qu’il distillait au fil de ses albums, s’avèrent ici très en retrait. Trop en retrait ?