En 2070, notre Las Vegas de fin de siècle fera pâle figure à côté de ce que la terre comptera de casinos, d’hôtel de « luxe » et d’écrans géants. Sans doute cette capitale mondiale du Jeu aura-t-elle cédé sa place à une « megacité » de dimension planétaire, entièrement consacrée aux illusions et désillusions de la roulette et de ses dérivés. Un jour viendra où notre planète bleue ressemblera à une gigantesque jungle, où les paris iront bon train, les « fast-love » auront définitivement remplacé les « fast-food » et les salles de jeux multiplieront les promesses de rêves. Brunschwig et Raufflet imaginent ce monde dans ses moindres détails et choisissent de nous en montrer un échantillon : Monplaisir. Anciennement appelée Minnéapolis, Monplaisir est une ville totalement consacrée au… plaisir.

C’est la dernière trouvaille malheureuse des Consortiums industriels. A tel point que cette recherche constante du bonheur s’est transformée en une parodie de jouissance. Les pulsions malsaines, les fantasmes dérisoires, les sensations virtuelles et de courtes durées, sont les seuls frissons que les habitants sont en droit d’espérer. Springy fool règne en maître de cérémonie. Il est ce que l’on pourrait appeler un présentateur-vedette et anime une grande émission de télé, suivie par des millions de téléspectateurs pendus aux écrans géants placés à tous les coins de rues. Son jeu s’appelle « Urban Games » et consiste à suivre une chasse à l’homme à armes inégales et durant laquelle la victime et le bourreau comprennent très vite que leurs rôles sont inversés…

A mi-chemin entre Blade Runner et Le Prix du danger, Les Rues de Monplaisir met en scène un monde à la fois grotesque et terrifiant, immature et profondément perdu. Les auteurs ont choisi de ne pas privilégier un héros, mais de nous présenter une galerie de personnages fort intéressants dans leur complexité. Le fameux Springy fool est affublé d’un costume de lapin à la Tex Avery qui dissimule très mal sa perversité, Ronald Olif, alias Magic Ronny, est un joueur invétéré, déchu et failli, qui s’est reconverti dans les tours de magie pour s’assurer une existence misérable, ou encore Dustin Colton, un enfant capricieux qui fête ses neuf bougies et se paie une escapade dans les rues de Monplaisir. On passe de l’obscurité des ruelles malfamées aux larges avenues jalonnées d’enseignes lumineuses promettant monts et merveilles à celui qui saura pousser la porte. La carte de crédit bien approvisionnée, le costume le plus fou, et le goût du hasard vous assurent le titre de Roi… de la nuit, seulement.
Un album riche, dense, qui mélange plusieurs genres. Une vaste entreprise où il reste nombre d’énigmes à élucider, notamment celle d’Overtime et du courageux Reed.