Il est fort probable que Dômu -récemment reédité par Les Humanoïdes Associés- ne s’affranchisse jamais complètement de sa réputation de brouillon pré-Akira. Les véritables auteurs ne font que reproduire perpétuellement une seul et même oeuvre et Otomo n’échappe pas à la règle même s’il s’est finalement assez peu exprimé en tant que mangaka. Son Dômu sonne donc comme une répétition en terrain restreint de son futur chef-d’oeuvre apocalyptique, en exploitant, sur un mode mineur, la même fascination de son auteur pour les pouvoirs para-normaux et le chaos urbain d’Akira. Exit par contre le trauma post-nucléaire, la parano génétique et les affres de l’adolescence : Dômu se place plutôt sur le terrain du thriller fantastique. Un vieillard sénile décime son voisinage en toute impunité grâce à ses forces psychiques, plongeant la police dans un profond désarroi, jusqu’à l’arrivée fortuite d’une petite fille possédant les mêmes pouvoirs. Les deux « surhumains » vont inévitablement finir par s’affronter, plongeant le quartier dans un chaos indescriptible.

Moins épique qu’Akira, mais plus concentré, Dômu ne parvient évidemment jamais à développer des personnages aussi profonds et charismatiques que Kei, Kaneda et Tetsuo. Le dessin d’Otomo est encore malhabile mais son sens de la mise en scène, basé sur une science des travellings et une utilisation judicieuse des ellipses, atteint déjà son apogée. Dômu brille donc comme un petit joyau fantastique noir, évacuant les questionnements métaphysiques d’Akira au profit d’une certaine poésie suburbaine qui tranche avec la fascination destructrice de son auteur pour les mégalopoles futuristes. Ici, rien n’est expliqué, ni l’origine des supers-pouvoirs des deux protagonistes, ni les motivations criminelles, manifestement gratuites, du vieux Chô-san. Préférant les anecdotiques farces létales aux délires nietzschéens de Tetsuo, Chô-san reste un personnage emblématique d’Otomo, déshumanisé jusqu’au moment où il prendra conscience de sa nature mortelle. C’est d’ailleurs l’unique point commun qu’on puisse lui trouver avec Tetsuo, lui aussi détestable, puis bouleversant lorsqu’il se sent envahir par les prémices de l’agonie, rendu pitoyable par une peur presqu’enfantine du néant qui s’apprête à l’absorber. La mise à mort du vieil assassin par la petite fille vengeresse est, à ce titre, une des scènes les plus marquantes et cruelles de ce manga, injustement maintenu à l’ombre et vampirisée par l’encombrant Akira, saga futuriste géniale mais par trop ultime pour soutenir une quelconque comparaison avec ce qui l’a précédée.