De Joost Swarte, il restait quelques livres plus ou moins épuisés, publiés par Futuropolis dans les années 1980, qui continuent de susciter, pour les plus rares d’entre eux (le 30×40, le portfolio Enfin !…), une chasse au trésor poétique chez les libraires d’ancien. Le catalogue de l’exposition collective Quintet et le livre Leporello (Glénat) avaient un peu pallié l’étrange disparition de l’auteur néerlandais des librairies, et l’on ne peut aujourd’hui que saluer la parution de Total Swarte – à un prix malheureusement élevé vu son format réduit. Annoncé depuis des années, ce petit livre noir préfacé par Chris Ware reprend les travaux de jeunesse de l’auteur parus dans L’Art moderne, recueil d’histoires courtes d’abord publié aux Humanoïdes Associés.

Joost Swarte fait partie, comme Ted Benoît, Ever Meulen, Serge Clerc ou Daniel Torres, de ces dessinateurs européens nostalgiques de l’Expo 58 et de l’Atomium de Bruxelles, et qui ont rêvé, au cours des années 1980 des années 1950 improbables. Ce n’est sans doute pas un hasard si l’auteur a le premier employé l’expression « ligne claire » (« klare lijn » en version originale) : il est tout simplement l’un des héritiers les plus assumés d’Hergé. Les traits, les couleurs, les phylactères, la typographie, tout converge vers cette influence majeure, mais ce serait trop simple que d’en rester là : il s’agit d’une ligne claire réinventée, réinterprétée, peut-être moquée vu les thèmes choisis. Le propos est en effet grave, désabusé, et Swarte porte un regard plus distancié que fasciné sur les objets de consommation qu’il représente – dont la drogue fait sans aucun doute partie, comme dans Esclaves de la seringue !, histoire réalisée en 1973 sur un scénario de Willem. Il suggère néanmoins un attachement, une affection pour le matériel, pour des symboles de pouvoir d’achat d’une certaine modernité : voitures chromées, frigos, costumes en tweed, rasoirs électriques, milk-shakes…

Au-delà de l’objet, il y a toujours le design – Swarte a fait des études de dessin industriel ; conception, utilité et esthétique se répondent dans ces bandes géométriques que l’on pourrait à première trouver vue rigides, tant l’architecture et surtout la perspective semblent résolues à marquer leur territoire. On identifie deux personnages en particulier : Jopo de Pojo, faux dur à cuire candide fuyant la violence prête à l’assaillir de toutes parts, et Anton Makassar, sorte de Tournesol underground établi comme peintre moderne, torturé par la technique et la couleur (dans Anton Makassar en couleurs, il définit avec brio la quadrichromie et la trame). Des personnages édifiants, comme Tintin ? Rien n’est moins sûr. Swarte a délaissé il y a une trentaine d’années la bande dessinée, choisissant de revenir au design, de travailler pour la presse, d’illustrer des pochettes de disque, des affiches, des timbres, des vitraux… Le trait reste intact, précis, sobre mais généreux, annoncé par ces œuvres de jeunesse qui permettront de (re)découvrir un auteur majeur.