Si certains des grands principes à l’oeuvre (« Pour qu’il y ait le moins de mécontents possible, il faut toujours taper sur les mêmes ») dans les précédents albums shadoks donnaient déjà au lecteur l’envie de décrypter les agissements de ces sympathiques et idiotes bestioles comme autant de métaphores de nos comportements d’Occidentaux modernes, ce quatrième album ne nous permet plus de résister à la tentation. Entre diverses péripéties historiquement cycliques de la civilisation shadok (construction d’une planète, lutte contre les gégènes, rencontre avec les Gibis) y apparaît en effet un nouveau personnage, maître en « désordonnance » et familier de nos temps actuels : l’ordinateur.

Il est nécessaire, pour bien comprendre l’utilité de l’ordinateur, de se souvenir d’un aspect essentiel de la physiologie du Shadok : constitué seulement de quatre cases, son cerveau ne peut retenir plus de quatre informations à la fois. Dès lors, pédagogiquement guidés par deux principes absolus, le premier affirmant que « la culture est ce qui reste quand on a tout oublié », le second remarquant « qu’il n’est pas nécessaire de savoir les choses pour les oublier », les Shadoks sont forcés, dans un premier temps, d’apprendre à ne pas apprendre, et, dans un second temps, d’oublier le plus rapidement possible les choses que, par hasard, ils auraient pu avoir apprises. L’ordinateur, également nommé « Antimémoire », est ainsi créé dans le but de faciliter cette tâche. Hors, les moments où il rumine de la logique formelle (ex. : Tout ce qui est vivant est mortel. Socrate n’est pas vivant. Donc Socrate n’est pas mortel), il se remplit efficacement et rapidement de tout ce que les Shadoks ne veulent pas ou plus savoir. « C’est ainsi que l’ordinateur shadok, de poubelle qu’il était, devint le dépositaire des principes shadoks les plus sacrés, temple de la raison et du savoir, de la sagesse et des arts ménagers. »

Seulement, voilà : l’ordinateur, laissé libre de raconter l’Histoire, s’y prend d’une manière qui rappelle avec joie les textes à contraintes de certains membres de l’Oulipo : « L’argoumante était églomatique et s’impliquait beaucoup plus qu’à l’exparité. Le plus déjà se plussissait. Plus qu’à l’exparité, s’étrangent et se consument les pregmes endiablés de la légume. » En se désordonnant et en livrant folie et absurde, fondements mêmes de la pensée et des agissements shadoks, l’ordinateur prouve ainsi sa supériorité absolue. Il peut alors être élevé au grade de Grand Désordinateur, super-intelligence qui guidera désormais les bestioles.

C’est ainsi, si les hommes ne changent pas, que les historiens du futur considéreront Jacques Rouxel, bien au-dessus des Bill Gates, Alain Minc et Jacques Attali, comme le premier grand théoricien visionnaire de l’Internet.