Otomo n’est pas mort… Ou, plus exactement, il a été cloné. Son ersatz transgénique, c’est Hiroki Endo, jeune mangaka de 30 ans qui clame haut et fort ses inspirations « otomoesques ». Faute avouée à moitié pardonnée ? Eden ressemble effectivement à un prolongement officieux d’Akira autant d’un point de vue graphique que scénaristique. Même point de départ, même ambiance post-apocalyptique. Si ce n’est qu’ici, l’holocauste n’est plus l’œuvre d’un gamin boosté aux OGM, mais d’un virus déshydratant qui transforme les êtres humains en poupées de porcelaine fissurées -belle idée poétique soit dit en passant. Il n’en reste pas moins que les adolescents du futur ont une fâcheuse tendance à faire de la moto au milieu de gigantesques zones urbaines dévastées… On a déjà vu ça quelque part, non ?

Pour contrer ce douloureux problème de persistance rétinienne, Endo adopte un procédé narratif choral audacieux, à base de flash-back et de flash-forward parfois un tantinet déconcertants. Procédé autour duquel viennent se greffer quelques personnages inhabituels dans ce genre de contexte : un savant gay faisant office de papa de remplacement pour les deux teenagers rescapés de service, une androïde au corps d’adolescente mais affublée de l’esprit d’une femme d’âge mûr Ajouter à cette galerie d’énergumènes une salve de réflexions métaphysico-mystiques à la Evangelion et une pincée de post-humanité « mecha »-nique, et le tour est joué.

Au moins, Endo a eu le talent de ne pas (faire) croire à son hypothétique « génie » visionnaire. Ca tombe bien, il en est totalement dépourvu. On veut bien croire que ce soit délicat de passer après Otomo et Anno, respectivement créateur et destructeur d’un mythe de la post-humanité dans la bande dessinée japonaise. Mais certains mangakas ont su se démarquer avec panache -voir Tsutomu Nihei et son Blame nihiliste et oppressant- de références trop intimidantes. La copie impersonnelle ne vaut pas l’original, et s’affilier ouvertement à certaines traditions ne suffit pas à dédouaner complètement son auteur. Mais Eden a tout de même de sérieux atouts dans sa manche : une violence sourde, qui n’épargne rien ni personne, une atmosphère délétère particulièrement bien retranscrite, des personnages attachants et complexes. On pourrait même presque penser qu’il ne les a pas tous lâchés à la fin de ce premier volume. Certains, ceux qui se désolent de la fâcheuse tendance d’Otomo à gentiment panouiller à droite et à gauche depuis la fin d’Akira, seront sans doute ravis de constater que la nouvelle génération a repris le flambeau du maître avec plus ou moins de bonheur, avec plus ou moins d’originalité. Qu’ils soient tout de même prévenus : le Canada Dry est une boisson à consommer avec modération…