Les Amériques est le premier titre d’une série entièrement réalisée par Christophe Blain : Isaac le pirate. L’album confirme les qualités qu’annonçait sa précédente œuvre –Le Réducteur de vitesse [lien]- et précise l’univers de son auteur.

Dès les premières cases, le lecteur est emporté par le rythme soutenu de l’histoire -la situation du héros évoluant de page en page. Les quelques cases de repos décidées par l’auteur mettent d’autant plus en valeur les scènes d’action, propres au genre « aventure de pirate ». La vision qu’en a Christophe Blain, aussi classique que convaincante, n’est d’ailleurs pas sans rappeler quelques chefs-d’œuvre cinématographiques. A la fin de ce premier tome, les personnages sont campés, l’intrigue amorcée, les décors plantés et le lecteur conquis.

Conquis, parce que le récit ne se contente pas de reprendre les poncifs du genre. L’ouvrage est enrichi de préoccupations artistiques et personnelles plus surprenantes. En effet, la série relate l’histoire d’Isaac, qui veut devenir « peintre de marine », ce qui était déjà le cas d’un personnage secondaire du Réducteur de vitesse (voir page 22). Et ce constat prend tout son sens lorsque l’on sait que Christophe Blain est l’auteur de deux carnets (Carnet d’un matelot et Carnet polaire) composés d’illustrations et de commentaires « pris sur le vif ». Dans Les Amériques, l’auteur intègre sa propre relation au dessin : influences picturales, difficultés de l’acte de création, réactions de l’entourage, ambitions, etc. A la fin de ce premier tome, autant que les aventures vécues par le héros, c’est la description de la condition de dessinateur qui surprend le lecteur. A travers cette transposition semi-autobiographique (Isaac vit sans doute une partie de l’expérience de Christophe Blain dessinateur), l’auteur se rapproche de la démarche établie par Joann Sfar avec son Pascin : une sorte de « feuilleton » en partie biographique sur le peintre Jules Pincas, dit Pascin.

Ce n’est d’ailleurs pas le seul point de comparaison avec Joann Sfar. Nous parlerons plutôt « d’influence » -même si elle se ressent diversement dans cet album (comme la ressemblance qu’Isaac entretient avec Joann Sfar…). Précisons tout de suite qu’il ne s’agit en aucun cas de « plagiat » mais plus « d’imprégnations » vis-à-vis de l’univers éclectique de Joann Sfar (les deux auteurs ont déjà collaboré sur deux titres).
Mais sans doute cette influence sert-elle à l’auteur à mieux se définir lui-même. De fait, Christophe Blain, à l’image des personnages d’Isaac le pirate, s’affirme, comme il affirme sa volonté de « créateur de monde ». Ses thèmes, son sens du récit, l’expressivité de son trait se sont développés et ont gagné en assurance. L’une des qualités intrinsèques de l’auteur se dégage ainsi dans ce titre : sa capacité à édifier des personnages, à définir leur psychologie et leurs comportements. Par rapport à son ouvrage précédent, les principaux protagonistes savent maintenant ce qu’ils désirent, et ils savent l’exprimer. Il est très probable que l’auteur leur laissera toute liberté de le faire au cours de cette série qui s’annonce remarquable.