Prenez un prince, une princesse, son oncle de roi, un ogre et une grenouille. Secouez bien fort et vous obtenez… une histoire vieille comme le monde -monde médiéval s’entend-, que le citadin blasé saluera d’un vague sourire condescendant, avant de replonger dans son incessante chasse au virtuel. Prenez un prince arrogant, prétentieux, cynique au dernier degré et une grenouille naïve et idéaliste ; échangez leurs corps. Saupoudrez d’une princesse velléitaire aux doux rêves amoureux. Assaisonnez d’un ogre relativement amical et collectionneur de sculptures de cristal, d’un roi petit dans son corps comme dans son âme, ainsi que d’un panthéon de personnages secondaires truculents. Frappez très fort et vous obtenez Garulfo, une satire sociale subtile, originale et hilarante, qui replonge en supplément gratuit dans le tréfonds enfantin et merveilleux des contes de fées.

Cinquième tome de la série d’Ayroles et Maïorana, « Preux et prouesses » voit le prince Romuald et la grenouille Garulfo poursuivre leur quête du fameux baiser de la princesse Héphylie, qui permettrait aux deux compères de rééchanger leurs enveloppes charnelles et de récupérer des peaux qu’ils apprécient plus que celles imposées par une sorcière facétieuse -comme toute sorcière qui se respecte. Pour cela, une seule solution : gagner le grand tournoi de chevalerie et l’indémodable baiser promis au vainqueur. Le fait que les deux héros soient plus que persona non grata dans un royaume où les exactions ogresques et les lutins blèesques, moins que la prétention fate des chevaliers et le ridicule des têtes couronnées, laissent planer un doute quant à sa pourriture n’est certes pas fait pour faciliter les choses. Mais avec un peu d’imagination…

Loin des sentiers battus du médiéval fantastique bourrin, Garulfo place la barre très haut. Un décorum féerique pour un fond d’une actualité désarmante. Critique de la société du paraître, des problèmes de communication inter- et intra-raciaux, fossé des générations, besoin d’amour… et tout ça sans vous laisser une seconde les pieds -et l’esprit- sur terre ! Car, bien au-delà du message que tout un chacun pourra se plaire à retirer, les aventures de Garulfo et Romuald sont une totale réussite d’épopée d’heroic comedy. Un scénario simple, limite linéaire, mais sans temps morts. Une mise en espace efficace. Un dessin magnifique dans ses détails comme dans ses mouvements, avec des arrière-plans irrésistibles et des mimiques impayables. Le tout mis en valeur par une colorisation exceptionnelle et un texte de très haute facture, petit bijou de finesse, de second degré et de reparties terribles. Un pur moment de bonheur visuel.
Constat certes dithyrambique, mais réaliste, pour une œuvre qu’il serait dommage de snober sous prétexte d’avoir déjà beaucoup de ses propres princesses à secourir.